Observez-vous le shabbat ? Cette question qui m'est de plus en plus souvent posée,
avait été soulevée par une voisine de table auprès de laquelle je me trouvais à l'occasion d'une rencontre touchant à Israël.
– Bien sûr que non, avait été ma réponse, je ne suis pas Juif et je n'ai aucune raison de respecter le shabbat.
– Eh bien , je prierai pour vous, afin que le Seigneur vous éclaire avait rétorqué mon interlocutrice.
Dans certains milieux chrétiens, proches d'Israël, voilà que resurgit la question du shabbat et un certain nombre de ces personnes, non seulement se sentent culpabilisées s'ils ne respectent pas le shabbat et militent pour que les autres chrétiens cessent de respecter le dimanche et reviennent au respect du shabbat.
Cette question devient tellement aigüe qu'elle provoque même des anathèmes et des condamnations, de part et d'autre. Que faut-il en penser ?
Du côté des partisans du shabbat, on s'appuie sur deux textes:
1) sur le décalogue: « Observe le jour du shabbat pour le sanctifier, tu travailleras six jours...mais le septième jour est le shabbat de l'Eternel ton Dieu »(Exode 20 verset 8)
On fait remarquer qu'il y a une unanimité dans toute la chrétienté pour admettre que le décalogue n'est pas aboli, et on pose la question: « pourquoi le commandement du shabbat serait-il le seul à l'être?. Il s'en suivrait que ceux qui respectent le dimanche au lieu du shabbat sont des pécheurs et sont donc coupables devant Dieu.
2) Le deuxième texte se trouve en Esaïe 56 verset 6: « Et les étrangers qui s'attacheront à l'Eternel pour le servir et qui garderont le shabbat pour ne pas le profaner...je les réjouirai dans ma maison de prière ». Conclusion: le respect du samedi comme jour du shabbat s'impose bel et bien aux non-juifs, tout comme aux Juifs, donc aux chrétiens non-juifs, de telle sorte qu'avoir transféré le shabbat au dimanche est non seulement une grave erreur, mais aussi un grave péché devant Dieu!
Nous voyons poindre là au sein du monde évangélique, une nouvelle source de division entre les «pour» et les «contre», comme si les causes de divisions au sein du monde évangélique ne suffisaient pas ?
Que faut-il en penser ?
LE TRANSFERT DU SAMEDI AU DIMANCHE
Là aussi, on a tenté de justifier bibliquement cette évolution.
On a d'abord tenté de démontrer que Jésus lui-même a violé le shabbat.
Il est vrai que les évangiles contiennent plusieurs controverses assez vives entre Jésus et les « pharisiens », concernant le shabbat. Et comme l'a démontré le regretté Professeur David Flusser, ces controverses portées, non sur le respect du shabbat que Jésus n'a jamais remis en cause, mais sur la manière de le respecter, c'est à dire, sur ce qu'il était permis ou non de faire le jour du shabbat, ce que le texte biblique lui-même ne précise pas et qui a fait l'objet d'une législation rabbinique complexe appelée: « halacha » avec laquelle Jésus n'était pas toujours d'accord.
C'est donc sur l'interprétation du commandement et non sur le commandement lui-même que portaient les controverses de Jésus avec les « pharisiens ».
Il est donc impossible de s'appuyer sur l'exemple et l'enseignement de Jésus pour affirmer que le shabbat est transféré du samedi au dimanche.
Restent deux textes sur lesquels s'appuient les partisans du dimanche.
Le premier se trouve au chapître 20 du livre des Actes verset 7: « Le premier jour de la semaine, nous étions rassemblés pour rompre le pain.» Le premier jour de la semaine est le dimanche, d'où l'on conclut que les premiers chrétiens, dès l'époque du Nouveau Testament, avaient pris l'habitude de célébrer leur culte le dimanche et non le samedi.
Cependant, au verset suivant, il est précisé que Paul poursuivit son discours jusqu'à minuit, c'est donc le soir qu'eut lieu cet épisode. Le texte grec, quant à lui, déclare:
« en dt mia ton sabaton», c'est à dire: « à la fin...», ou « au crépuscule du VIIème », (sous-entendu du 7ème jour), nous étions rassemblés pour rompre le pain.
Ce qui signifie que Luc compte les jours à la manière juive, à savoir que le JOUR commence le SOIR, à la nuit tombée, et non le matin. De telle sorte que pour Luc, le premier jour de la semaine n'est pas le dimanche soir, mais bel et bien le samedi soir, ce qu'on appelle en hébreu « Motsaé Shabbat », c'est à dire « la sortie du shabbat ».
A l'époque existait une coutume selon laquelle à cette occasion, tous les membres de la synagogue se rassemblaient pour partager un repas appelé « séoudat hamashiah », c'est-à-dire le « repas du Messie », car on était sensé s'y entretenir de la venue du Messie.
On comprend que les premiers chrétiens aient utilisé cette coutume pour donner à ce repas uns sens christologique et y célébrer la sainte cène, sans que toutefois cela implique en rien un transfert du shabbat au dimanche.
Néanmoins, des recherches récentes ont démontré qu'à la fin du premier siècle, les «juifs chrétiens», que l'on appelait à l'époque les « nazaréens » (Actes 24 verset 5_ ont assez tôt pris l'habitude de célébrer deux jours de repos dans la semaine: le samedi avec tous les autres juifs auxquels ils s'identifiaient et le dimanche qui, pour eux, était le « huitième jour » et non le premier. En effet, il existe une vieille interprétation de Zacharie 14 verset 7, où il est question d'un « jour unique ». Ce jour est identifié avec le temps messianique: le jour de l'Eternel ( ou jour du Seigneur). Ce jour, d'après cette tradition, sera un jour qui ne finira jamais, qui sera tout entier shabbat, ce sera le huitième jour de la semaine.
Selon l'école scandinave mentionnée plus haut, les nazaréens voyaient dans le dimanche, jour de la résurrection de Jésus, l'inauguration des temps messianiques, donc du 8ème jour de la semaine. Ce qui fait que paradoxalement, quoiqu'en dise les partisans du respect du samedi, ce sont les juifs chrétiens qui ont été les premiers à introduire le respect du dimanche! Non pas à la place du samedi, mais en plus du samedi.
Peu après cette période, dans les toutes premières années du deuxième siècle, nous est parvenu un document capital concernant la vie des premiers chrétiens, il s'agit de la lettre de Pline le Jeune à l'Empereur Trajan.
Pline avait été nommé gouverneur de Bythinie par son ami Trajan et s'était trouvé confronté à la présence de nombreux chrétiens dans sa province. Ne sachant que faire, il écrit à l'Empereur pour lui demander des directives, décrivant au passage quelques-uns des us et coutumes des chrétiens. Voici, entre autre ce que nous y lisons:
« Ils ont l'habitude de se réunir à jour fixe, avant le lever du soleil et de chanter entre eux, alternativement, un hymne au Christ, comme à un Dieu...
Ces rites accomplis, ils avaient l'habitude de se séparer et de se réunir encore pour prendre leur nourriture.»
C'est la plus ancienne mention extérieure au Nouveau Testament d'un culte chrétien.
« Ce culte a lieu à jour fixe, avant le lever du soleil et suivi d'un repas... ».
Ce « jour fixe », n'est pas précisé. S'agit-il du samedi ou du dimanche ? On peut en discuter. Mais la description de Pline ressemble étrangement à ce que nous lisons en Actes 20, de telle sorte qu'il n'est pas interdit de penser que si l'on compte la fraction d'une journée comme un jour plein, comme c'était le cas à l'époque, il pourrait bien ici y avoir, un reflet de cette coutume de célébrer les deux jours: samedi et dimanche.
Le deuxième texte sur lequel on se base pour justifier le transfert du samedi au dimanche, se trouve en Apocalypse 1 verset 10: « Je fus ravi en esprit au jour du Seigneur.» Jour du Seigneur se dit en latin: Dies domini, ce qui a donné en français: dimanche, d'où l'interprétation de la plupart des exégètes: Jean a reçu sa vision un dimanche. Quand bien même cette interprétation serait juste, il n'y a là aucun appui pour justifier le transfert du samedi au dimanche, mais même ainsi cette interprétation est plus que douteuse. En grec, il est question de: « kuriaké, éméra ».
Rien qui ressemble au dimanche. Il s'agit ici, à n'en pas douter, de ce que l'Ecriture appelle « le Jour de l'Eternel », non pas un jour de 24 heures, mais l'époque des évènements qui marqueront l'avènement du Royaume de Dieu, ce qui est précisément l'objet du livre de l'Apocalypse.
Il faut être honnête et reconnaître qu'il n'y a dans le Nouveau Testament strictement rien qui puisse justifier le transfert du shabbat du samedi au dimanche.
LE TRANSFERT DU SAMEDI AU DIMANCHE
Ce passage a eu lieu sous l'influence des Pères de l'Eglise, quand l'église a voulu se couper de ses racines juives. La première génération des Pères: les « apologètes», ont opposé l'Eglise « nouvel Israël », aux Juifs, « l'Israël selon la chair ». Ainsi l'Eglise « Israël selon l'esprit » était le « nouvel Israël ». On a donc copié et réintroduit dans l'Eglise, les coutumes, les rites et les cérémonies juives, mais « l'Israël selon l'esprit » était aussi un nouvel Israël. On réintroduisait les coutumes et fêtes juives, tout en les transformant, ainsi la fête juive de Hanoucca devint Noël. On changea la date de Pâques pour qu'elle ne coïncide pas avec Pessah et par la même occasion la fête de Pentecôte...et on transféra le shabbat du samedi au dimanche.
Les nazaréens avaient ouvert la voie, mais eux n'avaient pas pour autant aboli le samedi, ce qu'a fait la « grande Eglise ».
Assurément, ce fut une faute et une évolution regrettable, mais deux questions se posent alors.
1) Mis à part, l'intention de couper le christianisme de ses racines juives que nous condamnons sans appel et qui ne motive plus les chrétiens modernes, s'agit-il d'un grand crime ?
2) Un retour en arrière est-il souhaitable et même possible ?
Il est à remarquer que le judaïsme de l'époque du Nouveau Testament avait fait une place aux non-juifs qui voulaient s'approcher du Dieu d'Israël, en leur imposant sept commandements seulement , appelés « commandements noachiques ». Ces commandements reprenaient grosso-modo le décalogue, mais LE RESPECT DU SHABBAT N'Y FIGURAIT PAS et jusqu'à nos jours les rabbins considèrent que les païens ne sont pas obligés par le respect du shabbat et certains sont même allés jusqu'à dire « qu'un goy» ( non-juif) qui garde le shabbat, mérite la mort...Ils considèrent que le shabbat est un commandement spécifique donné à Israël.
Alors, diront certains, quid du texte d'Esaïe 56 déclarant: « que Dieu bénira l'étranger qui gardera ses shabbats ».
De fait, de nombreux textes de la Tora précisent qu'en Israël il y aura une seule loi pour l'autochtone et pour l'étranger et que l'étranger résidant au sein du peuple d'Israël est lui aussi tenu au respect du shabbat, mais pour Esaïe, c'est aussi l'étranger qui, comme Ruth, vient s'intégrer au sein du peuple d'Israël et qui se convertit à part entière au judaïsme, car à l'époque d'Esaïe la législation sur les commandements noachiques n'existait pas et pour pouvoir être sauvé, il fallait obligatoirement se convertir à la foi d'Israël. Or, c'est exactement à cela que s'oppose le décret apostolique d'Actes 15 qui précise que les païens peuvent être sauvés en tant que tels, par la seule foi en Jésus, sans avoir à passer par le biais de la conversion au judaïsme donc par les exigences rituelles de la loi juive.
Exiger des non-juifs le respect du shabbat sur la base d'Esaïe 56 c'est donc annuler le décret apostolique, puisque comme Paul le rappelle aux Galates, cette exigence implique le respect des autres exigences de la loi juive: les fêtes, la cashroute (respect des lois alimentaires), et finalement la circoncision, ce qui comme Paul le dit aux Galates, revient à annuler l'oeuvre du Messie sur la croix.
Mais, objecteront certains, il y a le décalogue... Dans mon enfance, au sein de l'église réformée, le décalogue était lu chaque dimanche et je n'avais pas du tout l'impression que je violais le commandement du shabbat puisque je me reposais le 7ème jour qui était pour moi, le dimanche.
L'OMBRE DES CHOSES A VENIR
Est-il indispensable de revenir au shabbat ? Paul nous répond: Colossiens 2 verset 16: «Ainsi donc, que personne ne vous juge à propos de ce que vous mangez et buvez, pour une question de fête, de nouvelle lune ou de shabbats. C'était l'ombre des choses à venir et la réalité est dans le Messie ».
Dans ce texte, Paul démontre qu'en Jésus le Messie nous avons plus que tout ce que le rituel juif peut apporter. Or, il faut constater que nombre de chrétiens « judaïsants» considèrent que cette démarche et la pratique des coutumes juives va leur apporter un plus. C'est ce que Paul ici nie totalement, d'aucuns considèrent aussi que le « réveil » que tout le monde attend viendra par ce moyen, c'est une recette parmi d'autres qui permet d'obtenir le réveil à bon marché, sans avoir à en payer le prix: la croix.
Il est certes beaucoup plus facile d'allumer 2 bougies pour le shabbat, que de se repentir et de renoncer à soi-même, tout le reste n'est que recette et ersatz.
De ce fait, le texte de Paul relativise le rituel juif, sans l'annuler pour autant.
Paul revient sur cette question à la fin de l'épître aux Romains à partir du chapître 14 verset 7 : puisque sans être abolis, ces commandements sont relativisés, faut-il ou non les respecter, que l'on soit «chrétiens-juifs», ou « non-juifs» ?
La réponse de Paul est celle-ci, cela dépend de la liberté de chacun, c'est un choix personnel, qui, comme il le dit en Colossiens 2, ne peut être jugé par autrui.
L'essentiel est de chercher à glorifier Dieu par sa conduite. Si certains veulent respecter le shabbat et se sentent culpabilisés s'ils ne le font pas, qu'ils le fassent, ils ne pèchent pas et nul ne peut le leur reprocher, mais si d'autres ne se sentent pas obligés de le faire, c'est aussi leur entière liberté, et ceux qui respectent le shabbat n'ont pas le droit de les juger, de chercher à les culpabiliser et encore moins de les inciter à les imiter, eux non plus ne pèchent pas et en ne respectant pas le shabbat, eux aussi glorifient Dieu et Dieu accueille les uns et les autres, par conséquent les uns et les autres peuvent aussi s'accueillir mutuellement.
EST IL POSSIBLE DE REVENIR EN ARRIERE ?
C'est difficilement envisageable. On voit mal le christianisme actuel revenir aux pratiques des premiers chrétiens. Deux mille ans de traditions ne s'effacent pas d'un revers de la main. D'ailleurs, c'est toute la société civile qu'il faudrait réformer, car
c'est toute la société civile qui a adopté le repos hebdomadaire du dimanche.
S'il s'agissait de quelque chose d'essentiel, alors oui, il faudrait obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Vaut-il vraiment la peine pour une question, que la venue de Jésus a relativisée, de provoquer dans les églises des tensions et des divisions qui, comme le montre Paul dans le chapitre 14 de l'épître aux Romains, risquent de provoquer la chute des plus faibles et vont donc à l'encontre du deuxième commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même...». Or, même la tradition juive admet que lorsque deux commandements sont en conflit, le commandement le moins important doit céder devant le plus important. Pour Jésus, cette règle est aussi fondamentale, toute application d'un commandement qui n'a pas pour objet le bien du prochain, est une fausse interprétation. C'est pourquoi se déchirer au sujet du shabbat n'a pas pour but l'édification du prochain et entre dans le cadre de ces vaines polémiques que Paul dénonce à Timothée, qui ne servent qu'à la ruine de ceux qui les écoutent.
Que chacun donc, dans ce domaine ait une pleine conviction, car tout ce qui n'est pas le produit d'une conviction est péché, mais ne nous jugeons pas les uns les autres si nous avons des pratiques différentes. Au contraire, accueillons-nous les uns les autres comme le Seigneur accueille dans sa bonté de Père, tous ceux qui agissent pour la gloire de son nom.
Yorumlar