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Les juifs sépharades à l’épreuve de la Reconquista : la conversion ou l’exil (partie 1)

Dernière mise à jour : 21 mai 2023

30 mars 1492. Les souverains espagnols signent l’édit de l’Alhambra obligeant tout juif à quitter le territoire espagnol, faisant ainsi suite à la Reconquista entreprise depuis le VIIIème siècle face aux non-chrétiens musulmans et de façon indirecte, les juifs, la communauté ibérique étant alors la plus importante du monde.


Deux mois après la promulgation, le dernier juif a quitté l’Espagne. L’édit d’expulsion d’Espagne marque ainsi l’aboutissement d’un processus démarré au moins un siècle plus tôt lors des massacres de 1391, processus de purification religieux et ethnique de l’Espagne.


Les sépharades désignent aujourd’hui les juifs non-ashkénazes et représentent avec les ashkénazes, les deux grandes communautés juives du monde.

Originellement, ce terme désignait les juifs habitant l’Espagne (Sefarad en hébreu) qui se sont vus expulser vers des horizons différents dans lesquels ils ont gardés leurs traditions judéo-espagnoles.


Installés depuis l’époque romaine dans la péninsule ibérique, les juifs s’intègrent progressivement dans la société espagnole, surtout dans l’al Andalus, l’Espagne musulmane dans laquelle les juifs possédaient des postes parfois élevés (médecins, savants, financiers…) bien qu’il faille nuancer le caractère idyllique d’une société cosmopolite basée sur la tolérance, les non-musulmans étant en effet des dhimmis (citoyens de seconde zone soumis à un impôt de « protection » ainsi qu’une ribambelle de mesures vexatoires).


Sous la dynastie almohade, l’intolérance est telle que les juifs de l’extrême sud ibérique quittent ces territoires. La Reconquista (reconquête chrétienne) amorcée depuis 711, vient progressivement récupérer une grande partie de la péninsule. Dans un premier temps, les juifs réussissent, sans grands dommages, à intégrer la nouvelle société chrétienne et acquièrent une protection directe du prince à leur égard, en échange de quoi ils aident le pouvoir central dans les provinces, notamment d’un point de vue financier en collectant les impôts.


Cette protection est à double tranchant car les pouvoirs locaux et la populace ne voient en ces juifs que des agents à la solde de l’état, chargés de ponctionner les populations. De plus, la population chrétienne méprise ces juifs sur la base des discours antisémites prononcés par des clercs soucieux de purifier l’Espagne d’éléments non-chrétiens.


Au début du XIVème siècle, un vent d’aversion parcourt l’Europe occidentale et les juifs se voient chasser de France et d’Angleterre. La péninsule ibérique est également touchée par cette recrudescence de la haine anti-juive. Les souverains espagnols (l’Espagne est divisée en plusieurs royaumes) résistent tant bien que mal, en tant que protecteurs, aux pressions exercées par l’autorité papale qui exige, par exemple, que les juifs se dotent d’un insigne les distinguant des non-juifs.


Plusieurs membres de l’élite juive se convertissent et certains de ces apostats deviennent de féroces anti-juifs (Paul de Santa Maria). Cela a un effet dévastateur sur le moral de la communauté juive qui accuse le coup avec difficulté. L’Espagne traverse une crise économique à partir de 1380, ravivant de plus belle les flammes de la haine. Les juifs sont désignés coupables de la crise économique (comme souvent dans ces occasions-là) eux qui sont déjà perçus comme des ennemis des chrétiens espagnols car proches du pouvoir durant la période musulmane. A cela, il faut ajouter toutes les accusations récurrentes de meurtre rituel et de profanation d’hosties.


Le tournant fatidique est pris en cette fin du XIVème siècle, lorsque le trône de Castille se retrouve vacant, créant une fragilité du pouvoir central au bénéfice des pouvoirs locaux (ducs, comtes…) dont les clercs anti-juifs, tel Ferran Martinez. Le contexte est alors propice à une explosion de violences antijuives ainsi qu’à une rechristianisation de l’Espagne tant espérée depuis des siècles.


Les chrétiens espagnols ne passent pas à coté de cette occasion et en 1391, les premiers massacres ont lieu à Séville, mettant ainsi le feu aux poudres dans toute l’Espagne. Les juifs, sans aucune protection - ou presque - du pouvoir central, se retrouvent livrés à eux-mêmes et sont contraints de choisir entre la croix et l’épée, entre l’abjuration ou la mort. De nombreux juifs se convertissent alors, souvent de force, afin d’échapper à une mort certaine. Ces conversions en masse créent une nouvelle classe sociale de nouveaux chrétiens, pratiquant un christianisme plus d’apparence que réel.


Les nouveaux chrétiens se réintroduisent progressivement dans la société espagnole mais sont victimes de violences de la part des chrétiens anciens, les suspectant d’avoir conservé leur ancienne religion, suspicion fondée, en effet, pour une partie, au contraire des vrais convertis. Les nouveaux chrétiens sont appelés conversos et aussi marranes, terme très péjoratif signifiant « porcs ». Chaque signe de judaïsme est traqué et les dénonciations pour hérésie sont nombreuses (souvent sans preuves).


Il est vrai que les marranes, bien que convertis au christianisme, continuent, dans l’ombre, de pratiquer leur ancienne religion. Pour les chrétiens anciens, l’Inquisition paraît comme la solution ultime pour mettre fin à ces soi-disant hérésies. Ce processus n’est pas nouveau et a fait ses preuves depuis le XIIIème siècle en France, face aux divers hérétiques que sont les vaudois et les cathares (1209-1229 : croisade des albigeois).

Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, récemment mariés et unifiant, par la même occasion, leurs royaumes respectifs, demandent au pape la mise en place de l’Inquisition. Ainsi est instaurée, en 1478, l’Inquisition en Espagne, traquant les hérétiques parmi les nouveaux chrétiens. Si ceux-ci sont jugés coupables de judaïser, ils peuvent être trainés au bûcher. Inutile de préciser que les arrestations des nouveaux chrétiens, ainsi que des juifs refusant d’abdiquer, se font de plus en plus violentes.


Lorsque, en 1492, les chrétiens prennent Grenade, dernier bastion musulman, marquant ainsi la fin de la Reconquista , l’idée d’une Espagne pure et unie sous la bannière du christianisme catholique est plus forte que jamais. Ainsi, cette volonté aboutit à la signature, par les souverains en cette même année, le 30 mars, de l’édit de l’Alhambra instaurant l’expulsion des juifs refusant de se convertir.


La communauté se retrouve dos au mur, déjà affaiblie par les violences extrêmes auxquelles elle est soumise, pesant sur le moral et réduisant la communauté de par les conversions. Les juifs n’ont alors plus aucun rôle prééminent dans les domaines du commerce et de la finance, ces secteurs étant désormais occupés par les nouveaux chrétiens ayant gardé leurs réseaux et contacts.


(à suivre...)




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