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Le peuple juif est-il la continuité de l'Israël biblique ?

Dernière mise à jour : 25 avr. 2023

Article publié en 1999 dans le Keren n°43


Le peuple juif est-il la continuité de l'Israël ancien ? De plus en plus, on entend répondre «non» à cette question. C'est d'ailleurs la thèse centrale de la fameuse charte palestinienne.


On y lit en effet, que les juifs ne sont pas un peuple mais les adeptes de la religion juive qui est répandue dans le monde entier, et que les membres de cette religion n'ont rien à voir avec le peuple d'Israël qui fut dispersé en 70 après Jésus-Christ, par les Romains.

Les juifs sont donc citoyens des pays où ils résident. Dès lors, pas plus que les chrétiens ou les bouddhistes ils n'ont à revendiquer un pays pour y fonder un Etat. Il s'ensuit que l'aventure sioniste n'est qu'un acte d'usurpation intolérable qu'on tente de justifier par un mythe. On invite même les israéliens originaires des pays arabes dont ils furent chassés en 1948, à y revenir pour y vivre sous la "tolérance arabe dont ils ont toujours joui"...


Mais cette idée vient en fait des occidentaux dont se sont inspirés des rédacteurs de la charte palestinienne. Est-elle fondée ? Les juifs sont-ils un peuple ou une religion ? Sont-ils la continuité de l'Israël biblique ? L'Etat d'Israël est-il un état confessionnel ? (abomination pour tous les «laïcs» et adeptes du pluriculturalisme). On va même jusqu'à demander à Israël de changer son drapeau et son hymne national, jugés trop «sionistes». Il est d'ailleurs curieux qu'on n'ait pas les mêmes exigences vis-à-vis des pays arabes, notamment de l'Arabie Saoudite dont le drapeau est composé d'un sabre et d'un verset du Coran qui rappelle que l'Islam se répand par le glaive !



POUR SUBSISTER, ISRAËL A DU S'ADAPTER...


La première rupture dans l'histoire d'Israël eut lieu en 536, lors de la déportation à Babylone. Quand les exilés commencèrent à revenir en 536, une entité nouvelle se créa dans la province de l'empire perse de «Yehud» (Judée). Dès lors, et jusqu'à l'époque romaine, c'est ce nom "Judée», pays de Juda ou pays des juifs, que porta le pays. Naît alors une communauté politico-religieuse, les «juifs», dispersés dans tout le monde connu d'alors (livre d'Esther), mais qui possèdent en Judée un "foyer national» administré par le grand prêtre de Jérusalem. II s'agit à la fois d'un peuple et d'une communauté religieuse. Ezra, en effet, a fait de la Thora la loi fondamentale de la communauté. Dès lors, le peuple, la terre et la Thora forment une réalité indissociable. Il est clair que cette dernière se sent, se reconnait et se veut l'héritière de celle du premier temple, ce que le Nouveau Testament confirme. On ne peut se dire chrétien et nier cette évidence.


Une deuxième rupture a lieu en 70 lors de la destruction de Jérusalem par les Romains. Commence alors une période de 2000 ans où le peuple juif est dispersé parmi toutes les nations et où son centre national n'existe plus. Sa fidélité obstinée à sa Thora et à sa religion le font haïr et proscrire par toutes les nations christianisées et islamisées ; ce qui fait problème, c'est précisément sa foi. Or, celle-ci fut le facteur qui permit au peuple juif de conserver son identité.



Dans l'Occident christianisé, durant le premier millénaire, il est évident que les juifs sont les héritiers légitimes du peuple d'Israël ethnique, «l'lsraël selon la chair». Dans ce sens, ils sont les frères aînés des chrétiens. Puis, au tournant du millénaire, la chrétienté découvre que les juifs se réfèrent à un autre livre que la Bible : le Talmud. Dès lors, le doute s'installe : les juifs sont-ils encore le peuple d'Israël ? D'ailleurs, des tribus entières, tels les Khazars, se sont converties au judaïsme. Il est donc évident que le peuple juif n'est pas une entité ethnique «pure», mais a intégré au cours de son histoire de nombreux éléments extérieurs.



MAIS L'IDENTITÉ JUIVE A SUBSISTÉ


Le doute va s'intensifier après la Révolution française et l'Empire, quand les juifs deviennent «des citoyens français de Confession israélite». Du côté juif comme du côté non juif, on fait des efforts pour prouver que le judaïsme est une religion comme les autres et que cette religion est indépendante de la nationalité. Ainsi, dans nombre de pays d'Europe, les juifs feront leurs efforts pour montrer qu'ils sont de bons citoyens des pays où ils résident, tout en restant fidèles à la religion de leurs pères, de sorte que juifs allemands et juifs français s'entre-tueront avec ardeur au cours de la première guerre mondiale pour montrer leur attachement à leurs patries respectives. C'est aussi l'époque où le judaïsme «réformé» fait disparaître de son culte toute allusion à une quelconque restauration nationale. C'était en fait le prix que l'on réclamait des juifs pour mettre fin à la discrimination dont ils avaient été l'objet jusqu'alors.


Lorsque Théodore Herzl appela à la restauration d'un Etat juif, il se heurta à l'hostilité de la plupart des juifs d'Occident, installés dans cette conception et qui hélas, devaient réaliser lors du deuxième conflit mondial que ce sacrifice et tous leurs efforts avaient été vains. Mais jusqu'à nos jours, de nombreux juifs "anti-sionistes" continuent de professer ce point de vue.

Or, il est historiquement évident qu'Israël, dès les origines, n'a jamais été un peuple ethniquement pur. Existe-t-il d'ailleurs une seule ethnie qui le soit ? Pour ce qui est d'Israël, le patriarche Juda, ancêtre des «juifs», avait épousé une cananéenne et Joseph une égyptienne. David, de la tribu de Juda, n'était-il pas de ce fait Israël et donc Jésus qui en est issu ?


Dès l'époque de Ruth en effet, on avait admis que des étrangers puissent se joindre au peuple d'Israël et en devenir membres à part entière. Ruth elle-même est devenue le modèle de la prosélyte.



A l'époque du Nouveau Testament, le prosélytisme juif était très répandu. Quelques-uns même des plus grands rabbins étaient des prosélytes. D'ailleurs, le prophète Esaïe ( Chapitre 56) avait annoncé que les étrangers qui s'attacheraient à Israël recevraient un nom et un souvenir préférables à celui de fils et de filles, et Zacharie avait averti que dix hommes des nations saisiraient un juif par le pan de son vêtement et diraient : «Nous irons avec vous car nous avons compris que Dieu est avec vous !» Ainsi, la Bible elle-même annonce l'extraordinaire métissage du peuple juif. Un peuple métissé cesse-t-il d'être un peuple ?


L'argument est tout de même étrange, à une époque où l'on glorifie le "pluriculturalisme» ! Qu'est-ce qu'en fait un peuple, sinon un ensemble de populations qui se reconnaissent une identité commune ? Or, pendant 2000 ans de son exil, le peuple juif s'est voulu non une religion mais un peuple avec son identité, son histoire, ses lois, ses institutions, sa langue, sa terre d'où il avait souvenir d'avoir été banni et sur laquelle il espérait bien revenir un jour.



LA THORA : UNE PATRIE AMBULANTE


Le peuple juif avait aussi sa religion, mais après tout, chaque peuple autrefois avait sa religion. Pour Israël, la Thora était une patrie ambulante. Elle est bien plus qu'un livre religieux au sens qu'on donne en Occident à ce mot. Non seulement Israël s'est reconnu et voulu héritier légitime de l'Israël Biblique, mais les autres peuples ont même jusqu'à il y a peu, considéré les juifs comme des étrangers auxquels ils ne pouvaient accorder l'égalité des droits. Cette situation a perduré quasiment jusqu'à nos jours dans certains pays arabes ou islamiques, tels la Syrie, l'Iran ou l'Irak. Officiellement, aucun juif n'a le droit d'entrer en Arabie Saoudite. Ainsi, instinctivement les nations réagissent vis-à-vis des juifs comme s'il s'agissait bien d'une nation.


Les juifs n'ont en outre, jamais perdu l'espérance de revenir dans leur pays. Dans leur exil même, ils vivaient au rythme de la terre d'Israël, célébraient ses moissons après Pâques alors que la neige recouvrait la campagne russe ou polonaise. Trois fois par jour, on priait pour être rassemblés dans "la terre de Sion et de Jérusalem" : "Sonne le grand shofar de notre rédemption, rassemble-nous des quatre extrémités de la terre dans Jérusalem, ta ville sainte..."

Ceux qui le pouvaient venaient finir leurs jours dans la ville sainte, de sorte qu'il y eut même dans la ville de Pékin en Galilée, la famille Zeati qui y vécut sans interruption de la destruction du temple jusqu'à la proclamation d'indépendance en 1948.



DEUX POIDS ET DEUX MESURES ?


Reste la question du Talmud : il est vrai que le judaïsme actuel est la religion du Talmud et non de l'Ancient Testament. Mais ce dernier ne pouvait être pratiqué qu'en Israël et autour du Temple. Il fallait donc l'adaptation aussi bien dans le judaïsme que dans le christianisme, car qu'est ce que le Nouveau Testament sinon une réinterprétation de l'Ancien à la lumière des événements qu'il rapporte et de l'œuvre de Jésus ?



Sa venue a créé une situation entièrement nouvelle. Pour les auteurs du Nouveau Testament, cette réinterprétation était déjà inscrite prophétiquement dans l'Ancien de sorte que le Nouveau Testament "accomplit" l'Ancien et ne le trahit pas. C'est précisément ce que contestent les juifs. Mais en affirmant leur foi dans le Nouveau Testament, les chrétiens à leur tour contestent implicitement le Talmud, car ce dernier a la même visée que le Nouveau Testament : réinterpréter l'Ancien à la lumière d'une situation nouvelle : celle de la perte du foyer national. En tant que chrétien on a donc le droit de dire que la réinterprétation de l'Ancien Testament par le Talmud est contestable, mais sûrement pas de dire que la primauté du Talmud pour la vie juive rend illégitime la prétention du peuple juif d'être le peuple de l'alliance.


Enfin, évoquons le problème du "confessionalisme". Nous l'avons vu, la Thora est un tout. Or, la démarche sioniste n'était pas religieuse, même si certains éléments religieux la sous-tendaient. Pour les hommes de la seconde alyah dont sont issus les pères fondateurs de l'Etat d'Israël, le sionisme était une révolte contre "l'establishment" religieux qui, par la force des choses, avait pris la direction de la communauté dans tous les domaines. On sait que ce débat fait rage encore maintenant en Israël même.


On peut certes regretter l'intervention de "l'establishment" religieux dans des domaines où l'on peut penser qu'il n'a pas à intervenir, mais alors il faut avoir les mêmes exigences vis-à-vis des pays musulmans. Or, s'il ne viendrait à l'esprit de personne de délégitimiser les pays musulmans qui donnent un trop grand pouvoir à la religion, pourquoi le fait-on pour Israël ? N'y a-t-il pas là deux poids et deux mesures ?


On le voit, s'il est vrai qu'il n'y a pas de continuité ethnique absolue entre l'Israël biblique et l'Israël moderne, il y a maintien d'une identité nationale tout au long de l'histoire et c'est justement cela qui constitue un peuple. Une histoire aussi bouleversée ne pouvait pas ne pas provoquer des évolutions.


Le maintien d'Israël là où d'autres peuples ont disparu tient précisément à la capacité d'adaptation unique de ce peuple ; capacité que les peuples qui ont disparu n'ont pas eue. Certes, nous y voyons d'abord le dessein de Dieu. Parler du "mythe de la continuité ethnique du peuple et de l'incomparable durée du peuple juif" (peuple juif étant d'ailleurs mis entre guillemets !), mythe qui n'aurait pas plus de consistance que celui des autres peuples du monde, (le mythe du "grand village mondial" oblige !), est quand même ignorer des réalités et des faits et, comme l'a dit un historien, "les faits sont têtus !".




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