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Quelle lecture de l'évangile ?


C'est environ un siècle après Paul qu'apparut, dans la grande métropole qui avait été la base de l'apôtre, un « père de l'Eglise », Ignace dit d’Antioche, ville dont il était originaire. Dès lors, l'église commença, sous l'influence d’Ignace, à faire une lecture antijuive des écritures et des épîtres de Paul en particulier.


Malheureusement, cette lecture « ignacienne » des Ecritures a perduré jusqu'à nos jours en sorte que, pour de nombreux chrétiens, le Nouveau Testament dans son ensemble est l'objet d'une lecture antijuive, comme si l’antijudaïsme était intrinsèquement lié au Nouveau Testament lui-même et que, pour être un bon chrétien, il fallait faire preuve d'une certaine dose d'anti judaïsme.


Justin martyr, autre père de l'Eglise du 2ème siècle, a lui aussi hérité de cette lecture antijuive de la Bible. Il est le premier à lire l'Ecriture à partir du seul point de vue de l'Eglise non juive. C'est dans ses écrits qu’apparaît pour la première fois la distinction entre « l’Israël selon la chair » (le peuple juif) et « l’Israël selon l'esprit » (l'Eglise qui a hérité de l'élection qu’Israël a perdue, du fait de son endurcissement).



On en vient alors à penser judaïsme et christianisme comme deux blocs qui s'excluent.


La lecture « ignacienne » de l'Ecriture consiste donc à considérer le Nouveau Testament exclusivement comme un recueil de textes « chrétiens ». Le fait que les juifs y jouent un rôle central n'est qu'un aspect secondaire plus ou moins fortuit. On en vient alors à penser judaïsme et christianisme comme deux blocs qui s'excluent et l'église comme héritière du judaïsme.


Ignace d'Antioche

Pour plaider en faveur du christianisme, il faut donc dénigrer le judaïsme.

Ignace pouvait ainsi écrire : « Si nous nous tournons vers le judaïsme, nous renions la grâce de Dieu car les prophètes vivaient selon Jésus Christ, n'observaient pas le shabbat mais le «jour du Seigneur ». Autrement dit, l'identité chrétienne d’Ignace reposait sur son opposition au judaïsme, qui s'oppose au christianisme. On retrouve cet antijudaïsme chez Eusèbe, dont l'apologie du christianisme est basée sur la dénonciation des torts du judaïsme.


À côté de cette lecture « ignacienne », il existe une autre lecture de l'Ecriture que nous pouvons qualifier de « lucanienne ».

Luc, on le sait, est le seul écrivain non-juif de toute la Bible, mais il manifeste une attitude incroyablement positive vis-à-vis d'Israël et du judaïsme et, à ce titre, il devrait servir d'exemple aux croyants non-juifs.

Les exégètes chrétiens, bons disciples d’Ignace, considèrent généralement que le but du livre des Actes est de montrer comment l'Evangile passe d'Israël aux Nations et se dégage peu à peu de sa gangue juive pour atteindre l'universel.



« Ne te sépare pas de la communauté »


La finale du livre des Actes aboutit à une conclusion totalement différente. Malgré le conflit qui l'oppose aux dirigeants juifs, Paul et ses disciples ne se séparent pas de la Torah mais en donnent une autre interprétation. contre la lecture traditionnelle pour laquelle la fin du livre des Actes confirme le rejet des juifs. Paul affirme qu'il n'a aucune intention d'accuser son peuple de quoi que ce soit.


Tous les commentateurs ont remarqué que le livre des Actes est une sorte de « symphonie inachevée ». En fait, la controverse entre Paul et les dirigeants juifs reste ouverte, sans décision prise. « Les juifs s'en allèrent en discutant », nous dit Paul.

Paul, on le sait, était disciple de Gamaliel, lui-même disciple d'un rabbin célèbre qui vivait un siècle avant notre ère : Hillel l'ancien. Ce dernier ne cessait de répéter, dit-on, « Ne te sépare pas de la communauté ». Celle-ci pouvait donc être pluraliste.

Pour Hillel, une controverse portant sur les choses célestes ne trouverait sa solution qu’aux temps de la fin. Pour lui, les deux opinions cohabiteraient jusqu'à ce que Dieu lui même tranche le débat au dernier jour. Il était donc hors de question qu'une école de pensée élimine l'autre.



« Ne jugez pas avant le temps. »


C’est exactement la teneur du propos que Luc met dans la bouche de Gamaliel, en Actes 15.

« Si cette œuvre vient des hommes, déclare-il devant le sanhédrin, elle se détruira d'elle-même. Si elle vient de Dieu, vous ne pourrez la détruire. Ne courez pas le risque de combattre contre Dieu ». Cela voulait dire que le temps, et notamment les derniers temps, montreront ce qu'est la valeur de la foi.

C'est aussi la pensée de Paul qui déclare : « Ne jugez pas avant le temps !». Dans Romains 11, Paul déclare que la solution du conflit n'interviendra qu'à la fin des temps et qu'en attendant, les non-juifs qui ont reçu la foi en Jésus ne doivent pas s'énorgueillir face à Israël. C’est une attitude qu'Hillel n'aurait certainement pas démentie.


On peut certes faire des écrits de Paul une lecture antijuive. On le peut parce que cela s'est fait et se fera encore ! On peut faire une pareille lecture, aussi, des écrits des prophètes d'Israël. Là encore, cela s'est fait. Néanmoins, il est possible d'en faire une autre lecture : celle de Luc.

Pour lui, le différend entre l'establishment juif et les disciples du nazaréen n'ont pas altéré la conscience que ces derniers avaient de l'importance d'Israël et de la Torah. Cette idée est particulièrement soulignée dans les évangiles de l'enfance, tout imprégnés de l'idéal de la piété juive post-exilique. Zacharie et Élisabeth sont qualifiés de « justes qui gardaient les commandements du Seigneur de façon irréprochable ».


Luc précise aussi que les parents de Jésus montaient à Jérusalem à chaque fête de la Pâque, ce qui, pour des pauvres gens, représentait un grand sacrifice financier, et chose qui se faisait rarement et indiquait une piété peu commune de la part des parents de Jésus.

Lors de la présentation au Temple, Luc martèle que tout a été fait en parfaite obéissance avec la Torah du Seigneur. Quant à Jésus, dès l'âge de 12 ans, il fait montre d'une maîtrise exceptionnelle de la Torah. Lors de la résurrection, il souligne que les femmes se sont reposées le jour du shabbat, « selon le commandement ». de tous les évangélistes, Luc est celui qui présente l'image la plus positive des Pharisiens, qui vont jusqu'à prévenir Jésus, quand Antipas cherche à le tuer, en Luc 13 verset 31.


Pour Luc, ils présentent à l'endroit de Jésus des opinions partagées. Ils ne lui font pas entièrement confiance, mais ne lui sont pas hostiles. De son côté, Jésus les rejoint sur l'essentiel mais diverge sur des questions secondes, ce qui n'a pas empêché la tradition chrétienne de faire de ces controverses avec les pharisiens une lecture globalisante et manichéenne.

Pour Luc, Jésus n'a de réel conflit qu'avec l'oligarchie du Temple, qui provoquera sa mort. Comme les autres synoptiques, Luc affirme que les marques d'affection du peuple juif ont empêché les grands prêtres d'arriver à leurs fins (Luc 12 verset 12).

Luc 20 v. 21 : « Une grande foule l'écoutait et tous étaient suspendus à ses lèvres »


Dans le livre des Actes, Luc souligne la fidélité de Paul à la Torah, même après sa conversion. Ainsi, il circoncit Timothée, fils d'une mère juive selon la halakha (la législation) car il estime, comme les autres juifs croyants, que pour les juifs, la circoncision reste nécessaire. Lors de son procès, en Actes 25 versets 8, il se défend d'avoir fauté contre la Torah.

Au chapitre 15 verset 15 de son évangile, Luc souligne que de nombreux pharisiens étaient devenus croyants. Selon Actes 13 verset 15 et chapitre 18 verset 6, l'œuvre de Paul parmi les Nations résulte non d'un rejet des principes juifs mais d'un manque d'acquiescement de ces auditeurs (Actes 18 verset 28).« Sachez que le salut de Dieu a été envoyé aux Nations et qu'elles l'écouteront ». Selon la fin du livre des Actes, l'essentiel c'est que l'Evangile continue à être prêché aux Nations. La lecture traditionnelle du récit de la vision des animaux qu’eut Pierre à Jaffa, est que le régime de la Torah a pris fin.


Pourtant, ce n'est pas ainsi que Pierre l'interprète. Écoutons-le plutôt : « Dieu m'a enseigné à ne considérer aucun homme comme impur ou souillé. » (Actes 10 verset 28).

Ce qui est en cause, c'est l'interdiction faite à un juif de fréquenter les païens. Il s'agit là de règles post-exiliques qui n'ont rien à voir avec les prescriptions de la Torah écrite.

C’est surtout à l'occasion du procès de Paul que Luc insiste sur la fidélité de l’apôtre à la Torah. Paul tente de démontrer que la loi nouvelle ne s'inscrit pas en faux contre la tradition d'Israël, mais qu'elle se situe dans le contexte même du judaïsme. On pourrait même multiplier les exemples qui montrent que Luc a compris Paul et son message différemment de la plupart des exégètes chrétiens ultérieurs.


Deux lectures possibles du Nouveau Testament s'offrent donc aux chrétiens : soit la lecture "ignacienne", teintée d'anti judaïsme à des degrés divers, soit la lecture "lucanienne" qui, sans chercher à relativiser ni minimiser les fautes des chefs juifs, est faite de sympathie pour le peuple juif et sa Thora.

Entre ces deux lectures, il faut choisir.

Pour ma part, je préfère la lecture « lucanienne ». Luc était inspiré par le Saint-Esprit. Ignace (et ses disciples), malgré tout le respect qu'on lui doit, ne l'étaient pas.



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