Article écrit par Jean-Marc Thobois en 1988, à retrouver dans le Hashomer n°44
On pourrait le croire. Depuis la fameuse « révolution des pierres », l’hystérie anti-israélienne a atteint de tels sommets qu’il n’est plus possible de se bercer d’illusions : tous les médias, certains partis politiques, la plupart des grandes églises sont en train de préparer psychologiquement le public de nos pays à accepter l’éventualité d’une disparition pure et simple de l’état d’Israël, et le massacre de Juifs qui en résulterait.
Actuellement, le conflit israélo-arabe n’est plus un conflit qui a pour enjeu des territoires, mais qui a pour objet la délégitimation de l’état juif ! Or, depuis quelque temps, on assiste à une véritable « exécution médiatique » d’Israël (pour reprendre une expression de Paul Giniewski) laquelle exécution médiatique nous prépare à une exécution tout court !
L’exécution médiatique d’Israël
L’évolution s’est faite par étapes. Comme lors de la guerre du Liban en 1982, la « révolution des pierres » a servi de prétexte aux médias à un déchaînement sans précédent. Quelques excès de la répression ont été montés en épingle, mais surtout les événements ont été présentés au travers d’un manichéisme simpliste : les « Goliath » israéliens luttaient contre les « David » palestiniens, enfants armés de pierres et ceci est intolérable ! Israël se révélait alors sous son vrai jour : « peuple sûr de lui-même et dominateur » pour reprendre l’expression du général De Gaulle.
Mais pour les censeurs d’Israël, qu’importe les milliers d’enfants kurdes gazés par les irakiens dans l’indifférence la plus totale, les milliers d’afghans assassinés par les soviétiques, les milliers d’enfants iraniens massacrés sur le front irakien après avoir été fanatisés par les Mollahs, les milliers de chrétiens du Soudan Sud mis à mort par les musulmans du nord dans la plus totale impunité ! Non, la conscience du monde est toute entière dressée contre Israël ! Les juifs du monde et d’Israël eux-mêmes, ont fini par être impressionnés et désorientés face à ce matraquage, quant aux chrétiens, c’était à qui rappellerait à Israël les « exigences évangéliques » de « tendre l’autre joue », exigences qui curieusement ne semblent concerner que la seule nation d’Israël !
Très vite, la question des territoires « occupés » après la guerre de 1967 allait être dépassée, les palestiniens d’abord, puis leurs amis jetant le masque osaient à nouveau, comme en 1967, affirmer que leurs revendications concernaient l’ensemble de la « Palestine ».
« Delenda est Israël » (« il faut détruire Israël »)
Sa création en 1948 n’a-t-elle pas été une « erreur historique » ? Le temps n’est-il pas venu de corriger cette erreur ? L’occasion n’est-elle pas trop belle ? Ne faut-il pas en « profiter », comme disent déjà certains ?
Certes, depuis la création de l’état d’Israël, le monde a eu du mal à accepter l’idée que les Juifs avaient droit à un état comme tous les autres peuples, mais on avait un certain complexe à remettre en question trop ouvertement la légitimité de l’état juif, eu égard aux souffrances d’Israël, notamment à l’époque hitlérienne. Maintenant que le souvenir de l’holocauste s’estompe et se banalise, le complexe qu’il engendrait tend aussi à disparaître. Ainsi G. Delteil de déclarer qu’il convient d’effacer de notre souvenir la mémoire de la deuxième guerre mondiale. En effet, selon lui, « c’est de cette manière, à laquelle il faut ajouter des arguments prétendument bibliques, qu’on justifie le sionisme ! »
L’exécution théologique d’Israël
C’est en effet à une telle exécution qu’on assiste actuellement de la part des principaux mouvements religieux : dans nombre de prises de position émanant des églises, des thèmes foncièrement hostiles à l’état d’Israël et au sionisme reviennent de plus en plus souvent. Voici les principaux :
Le premier de ces thèmes c’est « qu’il ne faut pas confondre l’état fondé en Palestine en 1948 à la légère, « avec l’Israël Biblique » (Serge Guilmin, Culture et Foi, mars 1988). En effet, pour ces théologiens, reprenant en cela la vieille tradition antisémite des pères (grecs) de l’église, le peuple d’Israël cesse d’être le peuple élu dès lors qu’il refuse de reconnaître Jésus comme le Messie. Cette élection est dès lors transmise au nouvel Israël « selon l’Esprit » par opposition à « l’Israël selon la chair ».
Un récent ouvrage de Kayayan « Espérer contre toute espérance » développe longuement ce thème qu’on croyait depuis Vatican II, depuis Jules Isaac etc… à jamais révolu. Serge Guilmin pour sa part écrit « la dogmatique chrétienne nous fait dire que l’église est le nouvel Israël et que tout ce qui concerne l’élection, c’est l’église que cela concerne ». On ne saurait dire mieux ! D’où les conséquences politiques qu’il faut en tirer : si entre l’Israël biblique et l’Israël actuel il n’existe aucune continuité historique ni biblique, alors les israéliens installés « à la légère » sur le sol arabe ne sont que de vils usurpateurs et il convient de mettre fin au plus vite à cette iniquité d’autant que 40 ans ayant passé, soit « le temps de la patience » (dixit S. Guilmin), on ne saurait attendre plus longtemps. Comment ne pas voir en cela un appel à peine déguisé à la mise à mort de l’état d’Israël ? Cette analyse coïncide d’ailleurs étrangement avec celle de l’O.L.P. !
Ce n’est pas ici le lieu de réfuter de semblables affirmations qui consistent à dépouiller Israël de son héritage spirituel et de son identité, ce qui fut de tout temps le péché majeur de l’église vis-à-vis d’Israël ! Qu’on se contente de relire les chapitres 9, 10 et 11 de l’épître aux romains où les dons et appels de Dieu sont qualifiés par l’apôtre de « sans appel », « ils sont aimés, dit l’apôtre à cause de leurs pères, à la foi desquels ont été faites des promesses inconditionnelles ! »
Quant à dire qu’Israël actuel n’a plus rien à voir historiquement avec l’Israël biblique, nous avons déjà montré comment il y a eu une présence juive ininterrompue en Israël pendant les 2000 ans d’exil et des contacts permanents entre le peuple dispersé et sa terre, vers laquelle Israël n’a jamais cessé de regarder !
Antisionisme ou antisémitisme ?
Le Sionisme comme idéologie dominatrice et oppressive est le deuxième thème le plus souvent rencontré dans les prises de position pseudo-théologiques des églises à l’endroit d’Israël, ainsi « l’unité de recherches appliquées de la faculté de théologie protestante de Paris » qui évoque le « drame des persécutés devenus bourreaux ». Ainsi le juif est digne de sympathie quand il est persécuté ! « drame de l’utopie d’un pays qui se voulait juste et qui s’expose à la honte ! drame du sionisme et de son idéologie… drame enfin de beaucoup de protestants qu’une certaine lecture de la Bible avait conduits à souscrire à une idéologie du sionisme ! » et François Smyth de renchérir : « il faut profiter de cette situation pour remettre fondamentalement le statut théologique d’Israël à l’étude ! » et selon Serge Guilmin rendre à la prophétie « son honneur perdu ».
Puisqu’Israël moderne n’a rien à voir avec l’Israël biblique, le Sionisme n’est qu’un rattrapage théologique pour justifier une oppression intolérable du peuple palestinien et l’usurpation de sa terre. Car enfin, nul ne peut nier que le sionisme plonge ses racines dans la version biblique du retour d’Israël à Sion à la fin des jours. Il s’agit donc de montrer qu’une telle lecture « naïve », de l’écriture est « illégitime ». C’est une lecture « naïve », mais c’est quand même celle qui vient naturellement à l’esprit du lecteur « non averti » de la Bible, tant que le texte est clair. Lecture illégitime et voici pourquoi : le Sionisme et « la puissance d’Israël sont un danger, déjà les Palestiniens sont enfermés dans un ghetto » (comme les juifs autrefois ! les victimes d’hier sont donc bien devenues des bourreaux). « Il faut donc s’adresser aux responsables israéliens, leur dire de ne pas se servir des armes qui étaient utilisées contre eux pendant la deuxième guerre mondiale » déclare Mme Haddad, chrétienne palestinienne de Jordanie. Quand à S. Guilmin, il affirme que « pour avoir toléré le nazisme, ce dernier a étendu ses ravages sur toute l’Europe » d’où il s’ensuit que tolérer plus longtemps le Sionisme et l’état d’Israël, c’est prendre un semblable risque, puisque « ceux qui furent exterminés en viennent à leur tout à souhaiter la mort de leur voisinage » (quel dirigeant israélien a jamais souhaité la « mort de son voisinage » palestinien, syrien, jordanien, libanais etc… ?)
« Israël prépare le génocide des Palestiniens »
Les choses sont donc dites en termes voilés, mais parfaitement clairs. Le Sionisme est une idéologie nazie (ce que la propagande soviétique s’efforce d’accréditer depuis des décennies !). C’est le début de ce génocide qui a commencé avec Sabra et Chatilla, puis avec les 190 et quelques palestiniens « assassinés » depuis le début des affrontements de décembre dernier.
Ainsi les sionistes sont des nazis ! Mais si les juifs ne sont enfin de compte pas meilleurs que leurs bourreaux nazis d’hier, peut-être ces derniers n’ont après tout pas été si mal venus de les persécuter ! Et si, par malheur, Israël devait périr dans le feu et dans le sang, ne l’aurait-il pas enfin de compte bien mérité ? Est-ce à ce type de conclusion qu’on cherche petit à petit à nous conduire ? L’holocauste gêne ! Son souvenir doit être éradiqué des consciences et ne plus servir de justification au sionisme, affirme G. Delteil ! Un génocide en effaçant un autre, le génocide supposé des arabes par les « sionistes » rend plus acceptable pour les consciences le génocide bien réel lui des juifs sous Hitler, génocide face auquel les chrétiens, à commencer par le Pape Pie XII sont restés étrangement muets à quelques exceptions, trop rares, près !
Car si vraiment les sionistes préparent un génocide des palestiniens, alors tout devient clair et facile ! Les juifs n’ont aucun droit de se défendre. Leur état est en danger, par son existence même, toute tentative de le défendre est par définition illégitime. Mais par contre, les palestiniens ont le droit, que dis-je, le devoir de se défendre et l’archevêque d’Alger de lancer un appel aux églises pour qu’elles reconnaissent la légitimité du soulèvement palestinien ! Il est piquant de constater qu’à l’heure du « concile pour la paix », où les églises prônent la non-violence et le désarmement, des chrétiens appellent ainsi à la violence et à la suppression d’un état ! Par la force !
Les vertus de l’exil !
C’est à la redécouverte de ces vertus que nous invitent maintenant certains, nous demandant de lire la Bible comme « un texte qui valorise la diaspora, la vie et l’intégration loi, de Jérusalem, sans perte d’identité, qui prône un Dieu personnel et non éthique ».
Ainsi donc, la situation normale du juif est la diaspora avec son cortège d’humiliations, de haines, de persécutions, d’antisémitisme ; l’être normal du juif, c’est donc le ghetto, les croisades, les pogroms, l’inquisition, l’holocauste, Auschwitz ! Que nenni, diront les auteurs de ce texte. Or, l’expérience deux fois millénaire des juifs est que l’antisémitisme qui secoue actuellement le Japon où pourtant il n’y a pas et où il n’y a jamais eu de juifs, laisse amplement matière à réflexion ! C’est bien pour mettre fin à cette situation que les pères fondateurs d’Israël ont créé l’état juif, afin que le peuple d’Israël puisse retrouver sa dignité et sa liberté.
Un terrorisme intellectuel
Comment dès lors faire encore une « lecture sioniste de l’écriture ? » Il s’agit, en effet, de faire taire ceux qui pourraient empêcher que l’on saisisse cette occasion unique « pour remettre en cause fondamentalement le statut théologique d’Israël » comme dit Mme Smyth. Eh bien non ! On ne nous fera pas taire ! On ne nous intimidera pas ! Comme autrefois le prophète, « pour l’amour de Sion, je ne me tairai pas ! » Je préfère lire la Bible comme le faisait Jésus, quand il annonçait le retour d’Israël dans son pays à la fin des temps des nations, comme le faisait Paul quand il voyait dans le même temps tout Israël être sauvé, que d’être complice par mon silence de « l’extermination » que l’on prépare !
Comment ne pas voir au travers de tout ce délire, pseudo-théologique, antisioniste et anti-israélien, des sentiments troubles ? Assistions-nous aux prémices d’une nouvelle vague d’antisémitisme « chrétien » ?
Pour notre part, nous aimons Israël parce qu’il est et demeure le peuple aimé de Dieu, malgré ses erreurs et ses fautes. Il est et demeure notre « maison spirituelle », car là sont les racines qui nous portent et nous refusons d’être complices de la vaste conspiration contre Israël qui se dessine. « Comment maudirai-je celui que Dieu n’a pas maudit ? » disait Balaam le prophète des nations. La culpabilité des chrétiens vis-à-vis d’Israël est trop lourde pour que nous puissions parler avec autant de légèreté et lancer de véritables appels au meurtre et à la haine. Le sang de nos frères juifs rougit encore nos mains et nos fronts, tel le sang d’Abel le juste, le sang de nos frères crie vers nous, sang des victimes des croisades, de l’inquisition, des pogroms, de persécutions hitlériennes, ce sang témoigne contre nous ! Il ne s’agit pas de justifier tout ce que fait Israël, il ne s’agit pas de nier qu’il y a des arabes qui souffrent, mais il s’agit de ramener les choses à leur juste mesure ; ici hélas, l’objectivité a fait place à la passion et lorsque celle-ci en appelle au meurtre du « juif des nations », nous disons non !
Or, si on en croit une déclaration du COE, la majeure partie de toutes les églises condamne ainsi Israël. Eh bien non ! Nous osons affirmer qu’il existe dans le monde des millions de chrétiens qui aiment Israël et prient pour Israël, parce qu’ils savent par la Bible que Dieu aime et protège, et protègera Israël face aux complots de tous ses ennemis, qui savent que Dieu a promis « je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai ceux qui te maudiront ! » et qui ne se reconnaissent aucunement dans les condamnations iniques qui pleuvent à l’heure actuelle sur Israël ! Nous nous tiendrons avec ces chrétiens-là, résolument aux côtés d’Israël quoi qu’il arrive et quoi qu’il en coûte et ne tomberons pas dans le piège dans lequel sont tombés nos pères, il y a plus de quatre décennies, qui se sont tus pour la plupart, quand on massacrait nos frères !
Nous savons, en outre, ce que P. Giniewski a bien perçu, c’est que « l’exécution médiatique » d’Israël en préfigure d’autres. L’esprit d’intolérance se répand aujourd’hui dans nos pays, les média ont tôt fait de classer les uns et les autres entre « bons » et « mauvais », au nom d’un manichéisme primaire. Aujourd’hui, Israël en fait les frais, mais demain ? Qu’on le veuille ou non, le christianisme est lié au judaïsme pour le meilleur et pour le pire. Déjà, les appels à se débarrasser des valeurs et de la culture judéo-chrétienne sont de plus en plus nombreux. N’oublions pas qu’en raison même de leur manichéisme, les médias modernes pratiquent un amalgame rapide. Qui sait si défendre aujourd’hui Israël, ce n’est pas en fin de compte se défendre soi-même !
Jean-Marc Thobois était tellement clairvoyant. Il avait compris avant bien d'autres les dangers qui pendent au nez du peuple juif et aussi des vrais chrétiens et des traditions judéo-chrétiennes.