Article publié en 2000
Nombreux sont les lecteurs de la Bible qui sont parfois déroutés par la manière dont se présente le texte sacré.
C'est que la Bible ne se conforme pas à la logique cartésienne occidentale, mais au mode de pensée juive qu'on trouve par exemple dans la Mishna et le Talmud. C'est notamment le cas pour l'ordre des livres, des chapitres et des versets.
Souvent, le lecteur occidental a du mal à voir quelle est la logique sous-jacente à l'arrangement des textes bibliques et se demande même s'il y a une logique dans cet arrangement ! Pourquoi, par exemple, les auteurs bibliques ne tiennent-ils pas compte de la chronologie ?
Or, il y a bien une logique, mais différente de la nôtre. Ainsi, les textes sont en général disposés en fonction de leur longueur. Les textes les plus longs viennent en premier, les plus courts ensuite. C'est par exemple le cas de l'ordre des épîtres de Paul. La plus longue, l'épître aux Romains, vient la première. La plus courte, celle à Philémon, tient la dernière place.
Les textes peuvent aussi être regroupés selon un thème commun : ainsi souvent chez les prophètes, les oracles sur les nations sont regroupés indépendamment de l'époque à laquelle ils ont été prononcés. On passe de l'un à l'autre par un mot commun ou une idée commune. Il en va de même pour les oracles sur les péchés d'Israël, les jugements, tandis que les prophéties de consolation et de rétablissement sont également regroupées.
Parfois, un mot commun suffit à rapprocher deux textes. C'est aussi ce qui se passe dans les évangiles qui sont arrangés sans ordre chronologique. Ainsi, différentes paroles de Jésus, prononcées dans des circonstances différentes, peuvent être regroupées par thème, par exemple : les paraboles du royaume chez Matthieu 1 3, des guérisons semblables, etc... ce qui rend quasiment impossible de reconstituer de façon précise une chronologie de la vie de Jésus. Mais l'homme biblique n'a pas le même souci que nous de la chronologie, ni le même sens de l'histoire en ce qui concerne la vie de ses héros.
Les textes poétiques tendent souvent à reprendre ou répéter la même pensée sous deux formes ou deux expressions différentes. Exemple dans le Psaume 37 v 1 : "Ne t'irrite pas contre les méchants, n'envie pas ceux qui font le mal..." Des termes, de telles répétitions peuvent même se croiser (cf. Béatitudes) : "Heureux ceux qui sont humbles dans leur esprit car le Royaume des cieux est à eux..." On saute un verset puis la pensée revient sous une forme différente : "Heureux les doux, car ils possèderont la terre" (sous-entendu eschatologique).
La Thora, arbre de vie
Une autre forme poétique est l'opposition entre deux propositions contraires, par exemple Proverbe 15 v 20 : "Un fils sage fait la joie de son père mais un fils insensé la honte de sa mère".
Connaître ces quelques règles permet de mieux comprendre le sens d'un passage obscur, le deuxième terme venant l'éclairer soit parce qu'il s'agit d'un synonyme, soit de son contraire. Des associations d'idées, des jeux de mots servent aussi de point d'accrochage de pensées qui peuvent paraître différentes. Toujours dans les Béatitudes, il y a relation entre «ceux qui poursuivent la paix» (selon le psaume 34 v 15 "Recherche la paix et poursuis-la") et ceux qui sont "poursuivis à cause de la justice" (persécutés) dans la béatitude suivante.
Parfois, l'ordonnance se fait selon des procédés mnémotechniques qui permettent une meilleure mémorisation ; c'est le cas des Psaumes 34 et 119 et du Proverbe 31, où tous les versets de la même strophe commencent par la même lettre de l'alphabet hébraïque.
Dans le Nouveau Testament, les méthodes d'exégèse rabbinique, très souvent rencontrées, vont du particulier au général. Ceci est contraire à la pensée grecque dont nous sommes modelés qui, elle, va du général au particulier.
Exemple : "Tous les hommes sont mortels, Socrate est un homme, donc Socrate est mortel".
Pour les rabbins, au contraire, on part de l'idée que l'on peut dégager une règle générale que l'on étend à partir d'un cas particulier. De tels raisonnements foisonnent dans le Nouveau Testament, par exemple dans Matthieu 6 v 30 : «Si Dieu nourrit les oiseaux et revêt l'herbe des champs, à combien plus forte raison ne prendra-t-il pas soin de ses enfants qui ont beaucoup plus de valeur que les oiseaux et les fleurs». Chez Paul aussi, ce type d'exégèse est courant, par exemple Romains 5 v 9 : "Puisque maintenant nous sommes sauvés par son sang, à combien plus forte raison serons-nous sauvés de la colère" ; Romains 5 v 17 : "Puisque par un seul homme la mort est venue dans le monde, à plus forte raison par le seul Jésus-Christ, rentreront dans la vie ceux qui ont reçu l'abondance de la gloire".
L'exégèse rabbinique emploie aussi très souvent le parallélisme. Les choses terrestres renvoient aux choses célestes, celles du monde d'en-bas sont des images de celles du monde qui vient. On peut formuler ainsi cette méthode à partir du "Notre Père", "de même dans le ciel...ainsi sur la terre" et vice et versa. Ainsi le pain de la terre renvoie-t-il au pain du ciel, l'eau de la Samaritaine à la source céleste, etc.. Ainsi pour Paul, de même que le péché est entré dans le monde par un homme, la résurrection est venue par un homme (I Corinthiens 15 v 22).
Elle conduit au paradis
Outre le sens courant et évident du texte appelé en hébreu «pshat» (c'est-à-dire simple), l'exégèse rabbinique s'attache à trois autres sens.
D'abord le «remez», l'allusion. Un texte biblique renvoie toujours à un autre qui l'éclaire. Ainsi, derrière chaque verset du Nouveau Testament, il y a allusion à un ou plusieurs textes des Ecritures. Exemple, Matthieu 2 v 23 qui explique que Jésus remonta d'Egypte afin que s'accomplît ce qui avait été annoncé par le prophète Osée : "J'appellerai mon fils hors d'Egypte". Cette citation d'Osée est elle-même une allusion à un «remez» d'Exode 4 v 22 où Moïse dit au pharaon : "Israël est mon fils, mon premier-né, laisse aller mon fils afin qu'il me serve !"
Avec ce texte nous avons une troisième méthode d'exégèse, le «drash» du mot creuser, sonder. Matthieu, de cette manière, veut suggérer que Jésus, Fils de Dieu, revit l'histoire de son peuple avec lequel il s'identifie car il accomplit la vocation qui est d'apporter au monde entier le salut de Dieu.
Enfin, chaque texte a aussi un quatrième sens, le «sod», c'est-à-dire le mystère. II contient un sens caché que seul le Saint-Esprit peut révéler (Matthieu 13 v 10-1 7, Matthieu 1 1 v 25-27). Paul aussi considère qu'il est dépositaire d'une telle révélation sur l'Ecriture (Galates 1 1 v 12) tout en affirmant que cette révélation est cohérente avec les autres sens des Ecritures (Romains 3 v 31, Matthieu 5 v 17-20).
Ces autres types d'exégèse portent en hébreu les noms de «pshat», «remez», «drash», et «sod». Les premières lettres de ces mots forment «parrdes», le paradis. La Thora est l'arbre de vie qui donne accès au paradis selon le livre des Proverbes. La compréhension de l'ensemble de l'Ecriture est la clé qui y donne accès.
On le voit, laisser de côté nos a priori occidentaux sans nous achopper sur certains aspects déroutants de la mentalité biblique pour entrer dans une compréhension plus profonde, peut illuminer notre lecture de l'Ecriture.
Quelle profondeur!
C'est merveilleux, il y a vraiment besoin d'un retour à la vision juive pour profiter encore plus de la beauté biblique...